"Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre sainte, j'achetai près
du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay, une
maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois. Le
terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un
verger sauvage au bout duquel se trouvaient une ravine et un taillis de
châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues
espérances ; spatio brevi spem longam reseces (1). Les arbres que j'y ai
plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de
l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant
cette ombre, ils protègeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur
jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où
j'ai erré ; ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon
coeur d'autres illusions.
Si jamais les Bourbons remontent sur le
trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me
rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui
l'environnent : l'ambition m'est venue ; je voudrais accroître ma
promenade de quelques arpents : tout chevalier errant que je suis, j'ai
les goûts sédentaires d'un moine : depuis que j'habite cette retraite,
je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes
pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu'ils
promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse.
Lorsque Voltaire naquit à Chatenay, le 20 février 1694, quel était
l'aspect du coteau où se devait retirer, en 1807, l'auteur du Génie du
Christianisme ?
Ce lieu me plaît ; il a remplacé pour moi les
champs paternels ; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes
veilles ; c'est au grand désert d'Atala que je dois le petit désert
d'Aulnay ; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme le colon
américain, dépouillé l'Indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres
; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas
un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je
n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa
feuille ; je les connais tous par leurs noms comme mes enfants : c'est
ma famille, je n'en ai pas d'autre, je voudrais mourir auprès d'elle."
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, Livre I, Chapitre 1.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, Livre I, Chapitre 1.
(1) "A l'espace si bref de la vie, retranche le long espoir", Horace, Odes, I, 11.
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